En 1937, Walt Disney diffuse son premier long métrage : Blanche-Neige et les Sept Nains. Mais Blanche-Neige n’est que la première d’une longue série de princesses qui a émerveillé plusieurs générations d’enfants. Nous vous proposons de découvrir aujourd’hui en quoi les princesses Disney témoignent d’une évolution de la représentation de la femme dans le cinéma d’animation occidental.
Trois générations de Princesses
La liste des princesses s’est allongée depuis 1937, et elle n’est pas près de s’arrêter. On distingue à ce jour trois générations.
La Première génération (1937-1959) – Classic Era
Elle comprend Blanche-Neige, Cendrillon et Aurore. Elle met en avant les concepts de l’importance du premier baiser, et de l’amour véritable (lié au « happily ever after »), deux objectifs recherchés par ces princesses. L’amour est même la seule aspiration de la princesse Aurore : promise à un prince dès sa naissance, elle est certaine de tomber sous son charme lorsqu’il viendra la chercher. La passivité est un autre de leurs points communs : ces princesses sont l’incarnation de la phrase « sois belle et tais-toi ». Blanche-Neige est même blâmée pour sa beauté, si bien qu’elle doit fuir dans la forêt après que sa belle-mère a tenté de la faire assassiner. Cendrillon subit les comportements abusifs de sa belle-mère et de ses demi-soeurs. Dans une scène, ces-dernières arrachent en lambeaux la robe de Cendrillon pour l’empêcher d’aller au bal. Aurore, beauté figée dans un sommeil centenaire, attend d’être délivrée de la malédiction de Maléfique.
Toutes les trois sont au premier abord vouées à une vie misérable : maltraitées par une belle-mère, maudite par un maléfice… avant que leur condition ne soit améliorée par le Prince Charmant. Son personnage est peu développé pendant le film et il n’apparaît généralement qu’à la fin. Car le Prince est une figure, un symbole universel. Il incarne l’homme qui subvient aux besoins de sa femme, qui la sauve (au sens propre comme au figuré) de tous les périls, et qui lui fera vivre une vie merveilleuse grâce à l’Amour Véritable. C’est pour cela que le Prince n’a généralement pas de nom (à part Philippe, le prince charmant d’Aurore).
Ces princesses reflètent l’image que la société se faisait de la femme idéale à l’époque : belle, douce, rêveuse, attendant un homme (fort et beau) qui saura subvenir à ses besoins, pour vivre avec lui une belle histoire d’amour. Elle sait gérer un foyer (que ce soit dans une cabane perdue dans la forêt ou dans un domaine aisé) et s’adonne aux arts avec délicatesse (le chant et la danse sont des pré-requis pour être une princesse digne de ce nom).
La Deuxième génération (1989-1998) – Renaissance Era
Regroupant Ariel, Belle, Jasmine, Pocahontas et Mulan, la Deuxième génération voit ses princesses s’émanciper. Elles sont toujours belles (c’est même le prénom de l’une d’entre elles) mais sont plus actives. Elles essaient de devenir maîtresses de leurs vies. Seule Ariel rêve encore de grand amour, au prix de sa voix (et sa famille). Jasmine et Pocahontas se retrouvent elles aussi prises dans un dilemme cornélien, mais l’amour n’est pas leur motivation principale. L’une veut d’abord échapper à un mariage arrangé, l’autre tente d’apporter la paix entre deux peuples. Belle rêvait aussi d’amour, mais se retrouve à essayer de survivre pendant sa captivité. Et Mulan risque sa vie en se travestissant pour combattre à la place de son père.
Contrairement à la Première génération, ces princesses veulent changer leur destin. Ariel et Belle sont insatisfaites de leur vie — sous l’océan pour l’une, dans une bourgade rustique pour l’autre. Jasmine et Pocahontas ne veulent pas d’un compagnon imposé. Mulan se sent différente des filles de son village, qui veulent « combler leurs familles d’honneur » en faisant un beau mariage.
Ces princesses — d’ailleurs pas forcément « Princesse » de par leur rang initial — ne sont pas opposées au grand amour. Mais cet amour, elles le choisissent. Leur Prince Charmant a un nom, une personnalité, et ce sont elles qui décident de le poursuivre. Quitte à entrer en conflit avec leurs familles, car leur prince n’est pas toujours l’homme idéal. Eric est humain, la Bête (dont le vrai nom est Adam) est solitaire et colérique, Aladdin est pauvre, John Smith est Européen…
Cette Deuxième génération de princesses témoigne d’une émancipation de la femme. Inutile d’attendre un prince charmant qui ne vient pas : mieux vaut aller le chercher, mais surtout, de le choisir. Cette génération marque aussi l’apparition de personnages de couleurs dans l’animation, car la diversité est un thème sociétal qui prend vraiment de l’ampleur à partir de cette époque.
La Troisième génération (2009-2013) – New Age Era
La génération actuelle. Elle regroupe les dernières princesses Disney : Tiana, Raiponce, Mérida, Elsa (et Anna), Viana. Tiana est par ailleurs la dernière princesse « en 2D ».
Dans la continuité de la Deuxième génération, ces demoiselles comptent bien prendre leur vie en main. Plutôt que leur beauté, ce sont leurs capacités et leurs actions qui sont mises en avant. Elles sont en quête d’accomplissement et ne reculeront devant rien pour arriver à leurs fins. Ainsi, Tiana se bat pour ouvrir le restaurant de ses rêves. Raiponce et Viana veulent voir le monde. Elsa s’exile dans la montagne pour explorer pleinement son pouvoir tandis que sa soeur Anna part à sa recherche pour sauver leur royaume. Seule Mérida a un objectif un peu plus « classique » puisque, comme Jasmine, elle veut surtout échapper à un mariage arrangé.
Ces princesses représentent la femme actuelle, émancipée. Elle n’est plus en quête d’amour, celui-ci passe au second plan. Anna, bien qu’éprise du prince Hans, n’hésite pas à le laisser au château pour retrouver sa soeur Elsa. Tiana et Raiponce se retrouvent « collées » à des hommes qu’elles n’ont pas choisi, par un enchaînement de circonstances, et tombent amoureuses petit à petit — comme dans la « vraie vie ». Quant à Mérida et Viana, elles n’ont carrément pas d’histoires de coeur. Si l’amour sororal est le thème de La Reine des Neiges, Rebelle explore l’amour maternel et la relation fille-mère. Et Viana nous rappelle que les belles amitiés mixtes peuvent très bien exister.
Le temps de parole d’une princesse
Si les féministes se réjouissent de cette évolution de la représentation de la femme au cinéma, le chemin reste long avant d’atteindre une égalité des genres. En effet, les linguistes Carmen Fought et Karen Eisenhauer sont arrivées à la conclusion que les femmes parlaient finalement peu dans les films de princesses. En moyenne, les hommes auraient trois fois plus de temps de parole, alors même que la plupart des films portent les noms de leurs héroïnes.
Seuls « Cendrillon », La Belle au bois dormant, Rebelle et Raiponce (de peu) ont un casting féminin plus bavard. On admettra cependant que le temps de parole est surtout rempli par Maléfique (et les fées) et non par Aurore, puisque la belle dormait. Elle est d’ailleurs la princesse avec le moins de dialogues de toute l’histoire de Disney. Etonnamment, La Reine des Neiges ne remplit pas la parité non plus : Olaf doit être trop bavard…
Les films sortis dans les années 90 obtiennent les plus mauvais scores. En même temps, la petite sirène est muette pendant les trois-quarts de son film, Jasmine est la seule femme dans Aladdin et Mulan se travestit pour s’engager dans l’armée, un milieu masculin. De manière plus globale, ces inégalités s’expliquent par la proportion de personnages féminins dans ces films.
La parité, un objectif utopique ?
L’évolution des princesses Disney sur ces trois générations concorde avec le portrait que les sociétés ont dressé de la femme. De docile est passive, elle devient déterminée et active. Mais le chemin vers la parité est encore long. Il faudrait davantage de personnages féminins pour une meilleure répartition du temps de parole et un contenu pertinent. Dans leur étude, Fought et Eisenhauer mentionnent aussi la qualité de l’information et la manière de parler des personnages féminins.
« Dans les films les plus récents, quand les femmes donnent des directives franches, les autres personnages vont prêter plus attention. C’est un procédé scénaristique qui vise à être remarqué par le spectateur. Alors que quand c’est un homme qui donne une directive, cela paraît évident que les autres personnages vont l’écouter. Au premier abord, les films récents ont donc l’air progressistes. Mais nous avons découvert que sous cette surface, nous avions encore tendance à internaliser que des femmes qui sont pro-actives, ce n’est pas la normalité. » — Karen Eisenhauer
Pourquoi cette étude ? Parce que « nous ne pensons pas que les petites filles jouent ou s’expriment naturellement d’une certaine manière », explique Carmen Fought. « Elles ne naissent pas avec un goût prononcé pour les robes roses. On leur a appris, à un moment. Donc la grande question est de savoir d’où les filles tirent les idées qui définissent ce qu’est une fille. »
La difficulté du cinéma d’animation réside dans le fait qu’au-delà de la recherche esthétique, il s’adresse généralement à un public très jeune. Les dessins animés sont regardés par les enfants, qui assimilent chaque jour une multitude de concepts fondamentaux dans leur inconscient et subconscient. Ces concepts vont façonner leur vision du monde et le comportement qu’ils vont adopter vis-à-vis de celle-ci. Plus que des manifestations, des pétitions ou des scandales médiatisés, le cinéma d’animation pourrait être un bon moyen de faire évoluer les mentalités. Les enfants sont le futur des générations actuelles. Mais il appartient aux adultes de décider quels principes la société veut inculquer aux enfants…
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